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Maintenant, le matin quand je me réveille, j’ai la trace du drap quelque part sur le visage. Elle reste toute la matinée. 

 On va avoir 40 ans. On n’a pas d’enfants. On n’a pas de mecs.

On est amies. On part en vacances. On fait la fête. 

On se questionne sur le temps qui passe, nos corps qui vieillissent et les cases qu’on ne coche pas. On échange les angoisses, les rires, les idées, les hauts et les bas.

Pas mère, pas épouse. Le temps passe sur nos corps, les regards glissent, mi-curieux, mi-affligés. 

Fanny est épuisée par son boulot, elle lui donne tout. 

Aurore coud la robe de mariée de sa meilleure amie. 

Elle pense qu’elle n’aura pas d’enfants. Elle dit que c’est comme ça.

Léa dit qu’elle n’en veut pas. Mais des histoires d’amour ça oui, encore, toujours.

Jess se sent en salle d’attente.

Sofia reçoit un coup de fil de Marco. Le premier en 6 mois. C’est sûr, c’est une histoire qui roule. Il suffit d’y croire. 

On manie encore l’ironie, mais bien moins qu’avant. Les masques tombent plus vite. Les pudeurs vont se nicher ailleurs. 

Rose fait congeler ses ovocytes, elle se sent chanceuse, elle en est fière, c’est un privilège. Elle ne se sent jamais aussi seule qu’en sortant d’un examen. 

Les écho pelviennes s’enchaînent. 

Fanny le fait aussi. On échange nos résultats. Tes ovaires, ils ont quel âge ?

On écoute des podcasts. On discute, on s’emporte.

Entre deux étés Adriana s’en est allée. Son resto c’était son bébé. 

Rose va déménager dans le sud.

Je vis la valse des ex, les séparés. On les appelle les revenants. Moitié-morts, moitié-vivants.

On trie nos déchets. 

Emilie s’en fout de manger du bio et des légumes. Mais elle a arrêté la clope. Elle croit en l’énergie des pierres magiques. Sofia se fait tirer les cartes. Léa remonte son arbre généalogique. 

Je me suis mise au yoga. Evidemment. Je suis toujours en retard.

Emilie attend l’été. L’hiver elle déprime. Elle reprendra peut-être la course à pied.

Mes règles me plombent le ventre.

Marie dit qu’elle est chanceuse parce qu’elle n’a pas encore de rides. Elle se ravise : ses rides, il faut les aimer. On est féministe ou pas ?

Aurore a trouvé le sérum parfait. A mettre sous sa crème. A garder au frais.

On compte les cheveux blancs, les rides, les bourrelets, les douleurs, les affaissements. 

On passe à autre chose.

Sofia a craqué. On l’appelle. On lui fait des blagues.

On l’emmène manger des pâtes et de la burrata.

On hésite à aller en boîte.

On boit du vin nature. La gueule de bois est moins dure.

On danse déchaînées sur Britney, sur Céline ou des mauvais DJ. On fait des pas, des mimes. Et des voix. Et des grimaces. On essaye de twerker. On rit.

Il paraît que les hommes plus jeunes sont moins toxiques.

J’essaye d’être anarchiste. C’est pas gagné.

On a hâte de se mettre à poil au soleil. De se retrouver. D’être dans l’eau. De se laver. 

Je me sens tiraillée.

J’ai peur de mes envies de tartes aux pommes et de foyer. J’ai peur de ne pas être une bonne fille. J’ai peur de ne pas être une bonne féministe. Parfois je fantasme sur de l’électroménager. 

Ma thérapie n’avance pas. J’en peux plus de parler de ma mère. 

Marie a le cuir épais et le cœur élastique. Elle ne pleure jamais. 

Sofia craque sur un homme. Il est en couple. Mais elle se sent vibrer. Tant pis.

Léa a trouvé le sextoy parfait. Elle s’engage en politique.

On va pas se mentir, on ne sera jamais rockstar ou pilote d’avion. Ou top model. Ou grand chirurgien. Ou exploratrice. Mieux qu’avant, on sait qui on est.

On se demande ce que c’est après tout que laisser une trace. 

Jess, Léa, Fanny, Aurore, Marie voyagent beaucoup. Avec ou sans argent.

On est libre et c’est vertigineux. Devant nous tous les possibles.

Cet été on va se retrouver, se réchauffer, faire corps. 

Je vais avoir 40 ans, j’ai pas d’enfant, pas de mec. Pas de chemin tracé. De nombreuses marques de draps devant moi.

https://www.9lives-magazine.com/96936/2023/07/07/masterclass-oeildeep-39-une-serie-de-gaelle-corvest/